lundi 16 juin 2008

Suite de Descombes

J'ai dit dans le billet précédent que je ne trouvais pas le livre de Vincent Descombes très convaincant. Et bizarrement, je viens d'avoir une "discussion" sur un blog de Guillaume qui tendrait à corroborer l'argumentation de Descombes. Et je me suis retrouvé à défendre un livre qui ne m'avait pas convaincu. L'expérience est toujours un peu amusante. Le livre en question s'appelle Philosophie du jugement politique. Il est constitué d'un article homonyme, d'une série de réactions de philosophes divers et variés et des réponses de Descombes à ces réactions. Le format est intéressant.

Allons-y, la lecture du billet précédent est quasi indispensable:

"Si nous devons considérer l'acteur, il faut évidemment cesser de considérer que le "bon nazi" est un bon élève qui donne la bonne réponse à toutes les questions, comme dans un examen scolaire. Un "bon nazi" doit mettre en oeuvre ses réponses "correctes" dans une activité elle-même "correcte". [...] Nous n'examinons donc pas seulement les raisons qu'il donne du point de vue de leur intégration cohérente dans une vision d'ensemble des choses, mais nous examinons également la signification de ces raisons du point de vue de l'identité pratique de cet acteur. J'entends par identité pratique la façon dont on va spécifier la contribution de ce sujet à la marche des choses. Le nazi rationnel devra donc être soldat, ou médecin, pharmacien, industriel, instituteur, etc., et également, à un titre ou à un autre, soutien de famille. Désormais, il ne saurait plus être question de "bon nazi", mais par exemple d'un "bon recteur nazi". La rationalité pratique de notre acteur doit s'évaluer, comme on aurait dû s'y attendre, dans la façon dont l'adjectif "bon" va pouvoir qualifier à la fois les efforts du recteur pour diriger son université et les efforts du militant politique pour appliquer dans cette fonction la "ligne du Parti". Ce qui importe, du point de vue politique, n'est pas la coïncidence d'un militant et d'un raisonneur infaillible, c'est celle d'un militant et d'un sujet pratique (c'est moi qui grasse). Si notre personnage pouvait prouver qu'il peut être un "bon recteur" tout en étant un "bon nazi", rationalité pratique serait inattaquable."

Quelle ligne de défense un individu qui devrait justifier de ses actes et non plus seulement disserter pourrait-il prendre? Descombes en voit trois:

  1. Affirmer que son idéologie lui permet d'être un meilleur recteur. Le nazisme, soutiendrait-il, ça marche...
  2. Affirmer que de toute façon, on juge toujours depuis une théorie, qu'elle soit nazie ou libérale, la belle affaire...
  3. Affirmer qu'un bon recteur est d'abord un bon nazi. Et d'ailleurs, qu'il n'est pas autre chose...
La première assertion sera contredite par les faits: "il est bon pour nous tous [argumentera le recteur nazi], pour les universitaires et pour le pays, que le recteur soit nazi. Mais bien entendu, nous n'aurions pas de mal à dénoncer dans ce discours un propos de propagande: car les conditions par lesquelles nous définissons un bon exercice de rectorat [...] sont évidemment contredites par le programme que le recteur a adopté dans sa qualité de militant politique et de dignitaire du régime." Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'argumenter longtemps.

Pour la seconde assertion, Descombes a recourt à deux critiques assez différentes. D'abord, le relativisme qui consiste à dire que de toute façon, on juge toujours depuis une conception particulière (en l'occurence, ce que nous appelons "bon recteur" est un recteur libéral tandis que lui appelle "bon recteur" un recteur nazi) de sorte qu'un bon recteur est un recteur nazi pour les nazis et un recteur libéral pour les libéraux. Mais "il ne pourrait plus nous expliquer ce qu'il y a de bon, dans sens quelconque (instrumental ou ultime), à ce que le recteur soit nazi. Nous ne savons plus pourquoi X doit être nommé plutôt que Y, ou pourquoi il faut se réjouir que ce soit X ait été nommé plutôt que Y." Une fois posée que les conceptions du mondes ne sont pas communicables ou pas comparables, il ne reste plus qu'à aller à la pêche.
Le deuxième argument me semble plus intéressant, en ce qu'il garde un plus grand contenu pratique: dès lors qu'on "considèr[e] des pratiques plus étroitement définies par les résultats qu'elles obtiennent" le sophisme tourne court. "Notre idéologue dira-t-il que ses soldats sont les meilleurs d'après sa "table des valeurs", même s'ils ne gagnent pas les batailles, ou s'ils ne les gagnent qu'au prix d'une ruine totale du pays lui-même (et donc d'une défaite finale inévitable)? Autrement dit, l'argument selon lequel nos évaluations sont forcément l'expression de nos préjugés peut faire de l'effet dans le "club de discussion" (que l'idéologue est sensé mépriser par ailleurs), mais il est étranger à la perspective d'un homme d'action, et à plus forte raison d'un politique."

Je vais m'arrêter là pour plusieurs raisons: j'ai sommeil, ce texte est déjà long et le dernier point nécessite une plus longue explication encore. Bonne nuit...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Clic

Je vous ai répondu, mais Lao Cai a effacé ma réponse. Sur ce que vous appelez la théorie de comptoir, il existe de nombreux livres sérieux dessus. Je vous invite à aller traiter tous ces acteurs de parano.

Sur l'institution, je me suis largement inspiré de Michel Volle, polytechnicien : http://www.volle.com/opinion/institution2.htm Là encoire, allez le dire que ce qu'il écrit n'a aucun sens. En ce uqui me concerne, je me retrouve parfaitement dans ce qu'il dit.

clic a dit…

c'est plus que largement inspiré: c'est du copié collé. Et cela ne change rien: le texte de Michel Volle est tout à fait incohérent, tout Michel Volle qu'il soit. D'ailleurs, les deux textes qu'il présente sur son site sont tout aussi inconsistant (sur la liberté de penser, je n'ai pas eu le courage d'aller très loin, tant la première phrase est déjà le lieu d'une erreur grossière: on peut discuter des limites de la liberté d'expression, mais on ne peut pas pas discuter des limites de la liberté de penser). Choisissez mieux vos références.

Anonyme a dit…

Bravo Clic ! Toujours dans l'illusion d’être plus cohérent que les autres sans comprendre qu’il nous ressert des plats vieux du cancre de la classe, qui donne des conseils au premier de la classe. Ca donne envie de relire le mythe de la cerverne de Platon... Allez, une vanne du grand Alphonse pour finir : "Le tapioca a un goût de moisi assez déplaisant pour ceux qui n’aiment pas le moisi".

Nicolas

clic a dit…

Nicolas, je ne publierai évidemment plus de commentaire de ce type, ne vous donnez plus la peine de les écrire.