mardi 22 avril 2008

Du rapport à l'Etat

Comme je l'ai déjà dit, beaucoup de gens se mettent le doigt dans l'oeil en pensant qu'on résouds tous les problèmes en distinguant les chinois du parti communiste. Dans la tête d'une personne de gauche, l'état opprime (ou "comprime" tandis que la loi triche... comme le dit la chanson) le peuple, raison pour laquelle celui-ci devrait percevoir la fourberie de celui-là.
Ainsi dans le commentaire d'un article de je ne sais plus quel journal, je lis quelque chose du type: on aimerait bien avoir l'avis des sans papiers chinois, plutôt que celui des jeunes étudiants chinois issus des classes aisées.
Las, l'une de mes amies, chinoise sans papier, me servit le même discours sur l'ignorance des français, la méchanceté du Dalaï Lama et l'immémorielle appartenance du Tibet à la Chine (éternelle). Il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas de raison pour qu'une chinoise (ou un chinois) sans papier soit particulièrement critique du gouvernement chinois. Car il faut bien reconnaître ce que le commentaire en question semblait ignorer: ce n'est pas la Chine qui fait les sans papiers chinois, mais la France. On peut par ailleurs penser ce qu'on veut des politiques migratoires, ceci dit, de quel côté qu'on regarde, la Chine n'a pas grand chose à voir là dedans... C'est amusant, quand on y pense, de penser que la dureté des lois françaises devrait susciter un surplus d'esprit critique à l'égard du gouvernement chinois...

Tout ça pour en venir à une réflexion sur les chinois et l'Etat. C'est inspiré de lectures et d'observations personnelles, je ne sais pas ce que ça vaut.
J'avais été impressionné par l'ouvrage de MacDonald A Free Nation Deep in Debt commenté sur le site d'econoclaste. Il s'agit de dire que la démocratie se développe quand les citoyens se mettent à payer pour leur Etat et que se constitue une "dette publique". Au fond, c'est l'application (géniale) de l'idée "c'est celui qui paye qui commande" à la vie politique.

Je viens de retrouver dans un texte de Moses Finley un même raisonnement appliqué la naissance de la démocratie Athénienne.
Ce que je soutiens en fait, c'est que le système pleinement démocratique de la seconde moitié du Vème siècle av. J.-C. n'aurait pas été introduit s'il n'y avait eu l'Empire Athénien. Etant donné les charges financières et militaires pesant sur les riches, il n'est guère surprenant qu'ils aient revendiqué le droit de gouverner par eux-mêmes, selon quelque forme de constitution oligarchique. Néanmoins depuis le milieu du VIème siècle av. J.-C. environ, les démocraties commencèrent à apparaître, dans une communauté grecque puis dans une autre; c'étaient des systèmes de compromis donnant aux pauvres certaines possibilités de participation, en particulier le droit de choisir les magistrats, tout en conservant aux riches le poids le plus important dans la prise des décisions. Athènes en fait déplaça cet équilibre; or le seul élément différent qui fût unique à Athènes, ce fut l'Empire, un empire pour lequel la flotte était indispensable, ce qui signifait que les classes inférieures fournissaient les hommes nécessaires à cette flotte. Voilà pourquoi je considère que l'Empire fut une condition nécessaire pour le type athénien de démocratie.

Il me semble, avec mes connaissances limitées de la Chine, qu'on est là en face d'une partie du problème. J'ai dit dans un message précédent que les chinois, comme peuple, se considéraient incapables de gérer la Chine, alors que la démocratie est le régime dans lequel l'exercice des responsabilités nourrit les individus, les rends capables et les faits égaux. Comme l'explique bien Rancière, la démocratie n'a pas besoin de gens compétents, elle postule simplement l'intelligence et l'égalité, elle la fait exister. De la même façon, au lieu de se considérer comme ceux qui font avancer le pays, j'entends sans cesse les chinois me dire "on est si nombreux qu'un chinois peut en remplacer un autre". Sans doute, la population chinoise est nombreuse, mais ce discours qui fait des chinois, parce que nombreux, des êtres remplaçables et au fond inutiles, les fait indignes de se constituer en peuple souverain. A mon sens, il est plus que la reconnaissance d'un fait, il est une partie du discours d'incapacitation que le gouvernement adresse à sa population.
ici s'arrête mon raisonnement à peu près solide.

On pourrait ajouter, mais là, ça va ressembler à des élucubrations personnelles assez peu cohérentes, que l'idéologie du développement, l'idée que l'Etat permet aux chinois d'accéder à plus de richesse inverse la relation Etat-Société. J'ai souvent été étonné que des chinois ne se posent pas la question de l'origine des aides sociales auxquelles ils pouvaient avoir droit. L'ensemble des systèmes de redistribution suppose en effet une société, c'est à dire le fait que la production des richesses dans une société va pouvoir être partiellement captée par l'Etat pour être redistribuée en fonction d'un débat politique. L'idée que l'état apporte des richesses est toujours contrebalancé par le fait qu'il ne peut redonner que ce qu'il prend. Il faut bien qu'il y ait une société qui travaille. Mais dans un état communiste (ou en tout cas dans les représentations qu'un tel Etat véhicule) il existe une confusion entre société et économie qui fait de l'Etat le pourvoyeur des besoins. Dans l'entreprise nationalisée, l'Etat ne prend pas un impôt dont les affectations seront discutées; il accorde un salaire. La richesse redistribuée est directement celle de l'Etat, il n'a jamais été visible qu'elle ait appartenu à la population. Bon, pour ce dernier chapitre, je ne suis sûr de rien.
[EDIT 24/04/08: je suis bien conscient que ça ne fonctionne pas comme ça. Je me demande juste si ce type de représentation n'existe pas.]

Tout ce que je voulais dire, c'est que les discours de "bon sens" sur " la complexité de la société chinoise", "l'impossibilité pour les chinois de se diriger", "les chinois inombrables" me semblent constituer (il faudrait le vérifier) des discours d'incapacitation.

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