lundi 28 avril 2008

Pourquoi la Chine et pas le reste?

Comme Florent (dont le billet est extrèmement intéressant), je n'ai jamais autant suivi l'actualité qu'aujourd'hui. La raison en est simple: je vis avec une chinoise et les dernières où nous avons parlé du Tibet, nous nous sommes engueulés comme jamais depuis que nous vivons ensemble...
Sur les blogs, on voit d'ailleurs que les personnes qui interviennent sont largement soit des français vivant en Chine, soit des expatriés chinois en France, soit des chinois étudiants en France, etc. La mondialisation en acte...

Pour toutes ces personnes, il m'est naturel de particulièrement m'intéresser à ces questions. Il est évident que si je vivais avec une mauritanienne, je m'intéresserais plutôt aux émeutes de la faim.

Pourtant, il est assez juste, de la part des chinois, de critiquer l'acharnement sur leur pays. Car il est vrai que la Chine n'est pas le seul pays à poser problème dans le monde...

Contrairement aux chinois, j'ai bien du mal à voir le "racisme anti-chinois" dont ils nous affublent. Il me semble plutôt que nous avons une représentation un peu sommaire: "les démocraties c'est bien, les dictatures c'est mal" qui fait que nous supportons toujours mieux les problèmes qui sont posés par des démocraties.

Il faut rappeler, à ce sujet, que les "régimes démocratiques" peuvent bien se donner ce nom, il n'y a là qu'un premier pas.
Ainsi, Wieviorka explique la violence émeutière, comme étant la forme que prend un conflit lorsqu'il n'a pas d'espace pour se résoudre politiquement. A ce titre, nombre de chercheurs présentent les émeutes comme une marque de l'absence de démocratie en banlieue (certains y parlent même d'un colonialisme interne). Mais évidemment, la démocratie ne doit dès lors pas être prise au sens de "droit de vote". Le problème est plus largement celui de l'accès au pouvoir, celui de la représentativité des gouvernants, celui de la prise en compte de ses intérêts, etc.

Quand des émeutes ont éclaté aux USA, en Angleterre ou en France, il y a eu en même temps des gens pour réclamer un durcissement sécuritaire, et d'autre une remise en cause des politiques sociales ou raciales.
C'est à ce titre peut-être que l'on peut comprendre le supplément de critique que recoivent les régimes autoritaires: car dans l'émeute dans un régime autoritaire, le principe même de la démocratie se rend visible.

Pourtant, il faut reconnaître que sont bien plus nombreux ceux qui savent reconnaître les manifestations démocratiques, malgré leur violence (car les manifestations démocratiques sont souvent violentes, les grecs le savaient déjà EDIT 2 juin: je déteste quand je donne dans l'allusion grandiloquente, en plus cette parenthèse n'avait pas grand sens) quand elles ont lieu en Chine, que quand elles ont lieu en France, alors que la violence y est alors bien moindre (il s'agissait quasi uniquement de batiments et voitures brûlées).

S'agit-il d'un problème d'universalité?

Une très intéressante discussion a eu lieu sur un blog pour discuter de l'universalité des droits de l'Homme. Elle fait écho, notamment, à un texte publié par François Jullien.

Quelque soit l'intérêt intellectuel de tels billets, je crois qu'ils ne sont pas très pertinents pour juger de la question qui nous intéresse. En effet, dans aucune discussion avec des chinois je n'ai eu à discuter de l'universalité des droits de l'Homme. Voila typiquement une discussion d'intellectuels qui oublient le monde dont ils parlent. C'est je crois, un cas typiquement français: on aime en France les discussions sur "la culture", les analyses qui mobilisent du "symbolique", etc. Car, contrairement à l'intuition, ce n'est pas le débat intellectuel qui est difficile à avoir: ce sont bien les faits qui sont difficiles à collecter.

Dans la plupart de mes discussions avec des chinois, les problèmes étaient factuels:

Le Tibet appartient-il à la Chine? Depuis quand? Quel impact a eu la Chine sur le Tibet depuis la "libération"? Peut-on parler de colonisation?

Le développement du Tibet profite-t-il aux tibétains ou seulement aux chinois?

Le Dalaï Lama demande-t-il l'autonomie? A-t-il organisé les émeutes?

Y a-t-il des morts aux Tibet? La réaction du gouvernement est-elle la plus mesurée possible, ou y a-t-il plus d'une centaine de morts?

Les tibétains soutiennent-ils ces émeutes ou sont-elles le fait d'une minorité de terroriste?

Les tibétains se sentent-ils chinois? Sont-ils heureux des efforts que fait le PCC pour développer la Chine?

On peut continuer longtemps, mais la plupart de ces questions sont factuelles. Sans doute, la discussion sur l'histoire des relations Chine-Tibet n'est pas facile, et plaquer la notion de colonialisme n'est pas évidente (car elle a été forgée à partir de la notion d'Etat-Nation qui a effectivement une histoire marquée par l'Europe) néanmoins, cette discussion peut avoir lieu.

Sur le Tibet, nombre de faits nous permettraient de nous convaincre les uns les autres. Ce sont ces faits qui nous manquent. Et c'est là le premier tort du gouvernement chinois: contrôler l'accès à l'information.

Sur les droits de l'homme, la plupart des chinois avec qui j'ai parlé ne me disent d'ailleurs pas "les droits de l'homme, ça ne me parle pas" ou "les droits de l'homme, je suis contre", mais "les droits de l'homme, nous nous y intéresseront plus tard, c'est une idée qui ne peut émerger que dans un pays riche, pour l'instant nous nous enrichissons." ou encore "si en Chine, tous les gens qui ne sont pas compétents se mettent à revendiquer, la Chine s'effondrera, car c'est un trop grand pays qui n'est pas encore assez développé pour supporter les revendications." Ici, deux lectures sont possibles: les uns diront (Jullien) que les chinois montrent par là leur attachement à l'intégration plutôt qu'à l'individuation/émancipation. Mais il me semble que c'est tout à fait faux.
Il est tout à fait faux de réduire l'histoire européenne à la notion d'émancipation. D'une part, nombre d'auteurs ont pensé l'intégration (le paroxysme étant la pensée réactionnaire ou nationaliste de De Maistre à Barrès, par exemple, sans oublier tout ce qu'ont produit les romantiques allemands) mais surtout, en opposant radicalement, comme le fait Jullien ou mon interlocuteur chinois "émancipation" et "intégration", on oublie que les sociétés ont produit des compromis où ces deux notions sont en perpétuels balancement. En sociologie, l'œuvre de Durkheim est l'une des illustrations les plus fortes de cette idée. Et c'est bien le grand problème du XIXème siècle que de concilier ces deux notions.
Et là encore, c'est bien une question factuelle qui nous permet de répondre au problème posé: car toutes les organisations politiques que nous pouvons étudier nous montre que nulle part (en tout cas nulle part à ma connaissance) on a à choisir entre intégration et émancipation: les sociétés ne s'écroulent pas sous prétexte d'essayer de concilier ces deux notions. Les sociétés qui laissent une plus ou moins grande place à l'émancipation individuelle ne disparaissent pas: nous vivons dedans. C'est là un fait.
Sans doute, tout ne se réduit pas à une question de faits, mais je crois que la question de l'universalité des droits de l'homme est largement secondaire: quand nous pourrons avoir une meilleure connaissance d'un certain nombre de faits, nous pourrons savoir si cette question est pertinente ou non, et nous serons plus à même de trancher.

Personnellement, je dois rajouter que je suis plus attaché à la notion de démocratie qu'à celle de droit de l'homme. Et la démocratie, en tant que principe critique, répond pleinement à la définition de Jullien: elle est un universalisant plus qu'un universel, elle est un concept critique et non normatif (dire "nous vivons en démocratie" est un non sens, par contre nous pouvons toujours, ici ou là, nous appuyer sur la démocratie pour critiquer une situation problématique, en Chine ou en France).

jeudi 24 avril 2008

Du renversement de situation.

Sur l'excellent blog de Bruno Birolli, de nombreux articles décrivent la propagande en Chine. C'est assez hallucinant... comme le dit Daniel:
... les errements de nos médias me font un peu oublier la dure réalité des mensonges de la propagande d'un parti unique...

J'ai un peu toujours ce sentiment dans cette affaire: quand on essaye de se rapprocher des chinois, on finit par trop excuser, quand on condamne, on finit souvent par s'emporter et dire n'importe quoi...

J'ai fait par exemple l'autre jour un très court billet qui disait grosso modo "et pendant ce temps, les tibétains meurent". C'était un peu idiot. Ce billet était une sorte de réaction à l'absurde mise en scène du "calvaire de Jin Jing". Comment ne pas être écoeuré de l'incessante répétition de ces images, sans doute éprouvante pour Jin Jing, mais dont il est évident qu'elle n'a pas de commune mesure avec ce que peut constituer la répression des émeutes? Comment supporter ces incessants discours sur le "mépris des occidentaux envers les chinois" sous prétexte que la flamme n'a pas pu faire son chemin tranquille quand les tibétains vivent une situation coloniale... tout ça est assez pathétique. La façon dont les tibétains sont dépeints par les chinois (ce qui va de paire avec l'idéologie du développement, c'est la représentation d'un tibétain incapable de se développer : un tibétain qui ne soit pas un homme) est teinté de tellement plus de mépris que tout ce que les chinois ont eu à supporter que c'en est assez écoeurant.

Car ce qui est frappant dans cette histoire, c'est l'incessante inversion des rôles: les diatribes sur la presse occidentale qui ment, celle sur le racisme anti-chinois, celle sur le délit d'ingérence des occidentaux...
Ce dernier point relève du comique si les conséquences n'en étaient pas si triste... les "libérateurs du Tibet" qui s'indignent de notre intervention dans cette "affaire intérieure", n'ont probablement pas compris grand chose à ce qui fonde le rejet de l'ingérence: le droit des peuples à disposer d'eux-même...

Pour autant, c'est sans doute cela que j'aurais du dire plutôt que "les tibétains meurent".

mercredi 23 avril 2008

le discours derrière le discours

Quand il m'est arrivé de parler avec mon amie du Dalaï Lama, elle me reproche ma naïveté. Il ressemble à un vieux papi sympathique et souriant. Mais derrière, c'est un monstre (un renard, plutôt)!
je me souviens même, il y a quelques années, de la première fois qu'un groupe d'amis chinois tombe dans ma bibliothèque sur un bouquin du Dalaï Lama (qui m'avait été offert, ironie de l'histoire, par une amie "american born chinese" comme l'on dit, de San Francisco). Immédiatement, une moue de dégoût... j'avais eu beaucoup de mal à comprendre (et ce furent mes premières discussions, déjà forts agitées, sur le Tibet) ce qui se passait.

Il faut reconnaître que certains amis français avec qui j'ai parlé sont convaincus que les tibétains sont des gens naturellement gentils et paisibles, incapables de faire de mal à qui que ce soit, contre qui le gouvernement envoit des chars.

Sur l'excellent blog d'Alain Bertho, on trouve des informations un peu moins caricaturales. Même de la part d'un sympathisant aux tibétains, la violence des tibétains lors des émeutes apparaît impressionnante. Certes, c'est bien dans le cadre d'un conflit plus global Chine-Tibet qu'il faut ressituer cette violence ; certes, on peut en faire la réaction à une situation de domination violente. il n'en reste qu'avoir conscience de cette violence me semble nécessaire et permet d'échapper, un peu, aux discours lénifiants. Des remarques assez justes sur ce sujet.

Pour autant, le discours des chinois est profondément problématique en un sens inverse. Bien loin d'idéaliser les tibétains, les chinois mettent systématiquement en doute leur sincérité. A partir du moment où un tel mode de raisonnement est mobilisé, il n'y a évidemment plus de place pour une discussion: on sombre dans la théorie du complot permanente. Quand le Dalaï Lama condamne la violence, c'est pour pouvoir la déployer et s'en laver les mains. Quand le Dalaï Lama demande une grande autonomie au sein de la Chine, c'est pour mieux aboutir à une indépendance. Ce genre de discours confinait au ridicule quand le gouvernement chinois assurait détenir la preuve que les émeutes étaient commanditées par "la clique du Dalaï Lama", tandis que le Dalaï Lama demandait l'ouverture d'une enquête internationale.

Il reste que lorsque nous abordons la Chine, nous résonnons de façon semblable: nous ne prenons (évidemment, ais-je envie de dire) ses déclarations comptant. Il y a pour nous une évidence, là dedans dont il m'est difficile de rendre compte à mes amis chinois. Que le Tibet soit une colonie et non un espace que le pouvoir cherche à développer, voila toujours le même problème. L'un de mes amis chinois qui fut le plus souple sur ce sujet m'assura, la main sur le coeur, que le gouvernement chinois voulait faire le bien au Tibet. J'essaierai peut-être de leur faire lire ce texte, mais je ne suis pas sûr d'arriver à me faire comprendre.

mardi 22 avril 2008

Du rapport à l'Etat

Comme je l'ai déjà dit, beaucoup de gens se mettent le doigt dans l'oeil en pensant qu'on résouds tous les problèmes en distinguant les chinois du parti communiste. Dans la tête d'une personne de gauche, l'état opprime (ou "comprime" tandis que la loi triche... comme le dit la chanson) le peuple, raison pour laquelle celui-ci devrait percevoir la fourberie de celui-là.
Ainsi dans le commentaire d'un article de je ne sais plus quel journal, je lis quelque chose du type: on aimerait bien avoir l'avis des sans papiers chinois, plutôt que celui des jeunes étudiants chinois issus des classes aisées.
Las, l'une de mes amies, chinoise sans papier, me servit le même discours sur l'ignorance des français, la méchanceté du Dalaï Lama et l'immémorielle appartenance du Tibet à la Chine (éternelle). Il faut bien reconnaître qu'il n'y a pas de raison pour qu'une chinoise (ou un chinois) sans papier soit particulièrement critique du gouvernement chinois. Car il faut bien reconnaître ce que le commentaire en question semblait ignorer: ce n'est pas la Chine qui fait les sans papiers chinois, mais la France. On peut par ailleurs penser ce qu'on veut des politiques migratoires, ceci dit, de quel côté qu'on regarde, la Chine n'a pas grand chose à voir là dedans... C'est amusant, quand on y pense, de penser que la dureté des lois françaises devrait susciter un surplus d'esprit critique à l'égard du gouvernement chinois...

Tout ça pour en venir à une réflexion sur les chinois et l'Etat. C'est inspiré de lectures et d'observations personnelles, je ne sais pas ce que ça vaut.
J'avais été impressionné par l'ouvrage de MacDonald A Free Nation Deep in Debt commenté sur le site d'econoclaste. Il s'agit de dire que la démocratie se développe quand les citoyens se mettent à payer pour leur Etat et que se constitue une "dette publique". Au fond, c'est l'application (géniale) de l'idée "c'est celui qui paye qui commande" à la vie politique.

Je viens de retrouver dans un texte de Moses Finley un même raisonnement appliqué la naissance de la démocratie Athénienne.
Ce que je soutiens en fait, c'est que le système pleinement démocratique de la seconde moitié du Vème siècle av. J.-C. n'aurait pas été introduit s'il n'y avait eu l'Empire Athénien. Etant donné les charges financières et militaires pesant sur les riches, il n'est guère surprenant qu'ils aient revendiqué le droit de gouverner par eux-mêmes, selon quelque forme de constitution oligarchique. Néanmoins depuis le milieu du VIème siècle av. J.-C. environ, les démocraties commencèrent à apparaître, dans une communauté grecque puis dans une autre; c'étaient des systèmes de compromis donnant aux pauvres certaines possibilités de participation, en particulier le droit de choisir les magistrats, tout en conservant aux riches le poids le plus important dans la prise des décisions. Athènes en fait déplaça cet équilibre; or le seul élément différent qui fût unique à Athènes, ce fut l'Empire, un empire pour lequel la flotte était indispensable, ce qui signifait que les classes inférieures fournissaient les hommes nécessaires à cette flotte. Voilà pourquoi je considère que l'Empire fut une condition nécessaire pour le type athénien de démocratie.

Il me semble, avec mes connaissances limitées de la Chine, qu'on est là en face d'une partie du problème. J'ai dit dans un message précédent que les chinois, comme peuple, se considéraient incapables de gérer la Chine, alors que la démocratie est le régime dans lequel l'exercice des responsabilités nourrit les individus, les rends capables et les faits égaux. Comme l'explique bien Rancière, la démocratie n'a pas besoin de gens compétents, elle postule simplement l'intelligence et l'égalité, elle la fait exister. De la même façon, au lieu de se considérer comme ceux qui font avancer le pays, j'entends sans cesse les chinois me dire "on est si nombreux qu'un chinois peut en remplacer un autre". Sans doute, la population chinoise est nombreuse, mais ce discours qui fait des chinois, parce que nombreux, des êtres remplaçables et au fond inutiles, les fait indignes de se constituer en peuple souverain. A mon sens, il est plus que la reconnaissance d'un fait, il est une partie du discours d'incapacitation que le gouvernement adresse à sa population.
ici s'arrête mon raisonnement à peu près solide.

On pourrait ajouter, mais là, ça va ressembler à des élucubrations personnelles assez peu cohérentes, que l'idéologie du développement, l'idée que l'Etat permet aux chinois d'accéder à plus de richesse inverse la relation Etat-Société. J'ai souvent été étonné que des chinois ne se posent pas la question de l'origine des aides sociales auxquelles ils pouvaient avoir droit. L'ensemble des systèmes de redistribution suppose en effet une société, c'est à dire le fait que la production des richesses dans une société va pouvoir être partiellement captée par l'Etat pour être redistribuée en fonction d'un débat politique. L'idée que l'état apporte des richesses est toujours contrebalancé par le fait qu'il ne peut redonner que ce qu'il prend. Il faut bien qu'il y ait une société qui travaille. Mais dans un état communiste (ou en tout cas dans les représentations qu'un tel Etat véhicule) il existe une confusion entre société et économie qui fait de l'Etat le pourvoyeur des besoins. Dans l'entreprise nationalisée, l'Etat ne prend pas un impôt dont les affectations seront discutées; il accorde un salaire. La richesse redistribuée est directement celle de l'Etat, il n'a jamais été visible qu'elle ait appartenu à la population. Bon, pour ce dernier chapitre, je ne suis sûr de rien.
[EDIT 24/04/08: je suis bien conscient que ça ne fonctionne pas comme ça. Je me demande juste si ce type de représentation n'existe pas.]

Tout ce que je voulais dire, c'est que les discours de "bon sens" sur " la complexité de la société chinoise", "l'impossibilité pour les chinois de se diriger", "les chinois inombrables" me semblent constituer (il faudrait le vérifier) des discours d'incapacitation.

La leçon populiste

Dans sa conception classique la démocratie a une dimension éducative. Mais elle est une éducation par l'expérience. Pour Moses Finley ou Christopher Lasch, par exemple, la démocratie met les individus dans la situation d'un débat et les fait (du verbe faire) compétent (c'est un peu différent, pour ce que j'en comprends, chez Rancière, mais ça n'est pas radicalement différent).
Plusieurs blogs évoquent l'idée très intéressante qu'en laissant se déployer ces manifestations, le gouvernement a fait l'erreur de laisser une porte s'ouvrir. Afin de montrer le soutien populaire à sa cause, le gouvernement chinois aurait offert aux chinois une expérience démocratique. Cette expérience, acquise dans le soutien aux JO, pourrait se déployer ailleurs.

Car, la démocratie n'est pas simplement un meilleur régime parce qu'il égalise les conditions, mais surtout parce qu'il participe de l'amélioration des hommes. C'est en forgeant qu'on devient forgeront, c'est en discutant qu'on devient capable de prendre des décisions.

Un tel discours s'oppose évidemment à l'antienne sans cesse répétée par les chinois de la nécessité du PC car "la politique c'est compliqué", "la Chine est un grand Etat, on ne peut pas la gérer comme vos petits pays", etc. La Chine s'effondrerait si elle était laissée aux chinois, me répète-t-on sans cesse, car ils ne sont pas intelligents. Il est étonnant d'entendre cela sans cesse répété mais après tout, c'est là sans doute une démonstration de la force de la conception ancienne de la démocratie. [EDIT 24/04/08, passage pas clair du tout: en effet, on serait là dans une situation où les chinois se sentiraient incapables précisément parce qu'ils n'auraient pas l'occasion de faire l'expérience de leurs compétences, mais plus encore de les développer au travers d'une vie démocratique.]

Quand un européen explique à un chinois qu'en Chine, "on a pas de liberté", la discussion ne va rarement très loin. D'abord, il faut redire combien ce genre de discours me semble n'être qu'une fiction qu'on aime à se raconter pour se rassurer: il faut qu'il y ait des peuples sans droits pour que l'on puisse s'autocongratuler de nos droits.
Car la réponse des chinois me semble être celle-ci: je sors, je vois mes amis, je vais m'acheter des affaires, je suis libre.
En occident, la conception classique, ancienne, de la démocratie n'est plus trop à la mode. La démocratie est de plus en plus présenté comme le régime du pouvoir limité. La liberté devient le droit de ne pas affronter de problèmes dans sa vie ordinaire, le droit à la "sûreté". [EDIT 24/04/08, passage pas assez développé: dans un tel cadre, les occidentaux se trouvent incapables d'expliquer ce qui manque. Ils ont beau dire "tu ne peux pas dire ce que tu veux en Chine sur ton gouvernement", leur vie ne donne plus tellement l'exemple de ce que cela signifit. Un étudiant chinois peut passer plusieurs années en France sans avoir le sentiment qu'il y ait véritablement plus de liberté en France qu'en Chine. Non pas parce que cela n'est pas le cas, mais parce que la participation politique ne constitue plus un élément central dans nos vies ordinaires.]

Aujourd'hui, Sarkozy a envoyé un courrier à Jin Jing. Il salue son geste "héroïque". Quelques jours plus tôt, Sarkozy parlait d'un boycott des JO, après avoir vu des sondages allant dans ce sens. Si la démocratie est un régime éducatif, alors il faut reconnaître que la médiocrité de notre classe politique, et de notre président notamment, n'en témoigne pas vraiment. Les chinois y verront peut-être le fait qu'on peut faire plier un décideur politique en manifestant, quand l'expérience démocratique devrait être autre chose: non pas les incessantes fluctuations de discours inconsistants, tentant désespérément de suivre le courant des opinions, mais l'approfondissement de ses connaissances et de son jugement dans la confrontation aux autres et l'exercice de sa responsabilité.

lundi 21 avril 2008

Ca ne marche pas

On a beau chercher, il y a quelque chose d'insupportable à faire de Jin Jing une icône exprimant le mépris dans lequel les occidentaux tiendraient la Chine, quand des tibétains meurent.

Je me demande si ce blog peut vraiment me permettre d'avancer.

dimanche 20 avril 2008

Du ressentiment

Les manifestations chinoises laissent les français plus que dubitatifs. Probablement soutenues (au moins) par le pouvoir chinois, elles ne donnent pas l'impression d'être face à l'émergence d'une société civile, fusse-t-elle celle d'expatriés. Elles ont même quelque chose de grotesque... quand le Tibet vit des émeutes extrèmement violentes, quand le gouvernement incarcère à tours de bras (ce qui est le moins qu'on puisse dire), voir des chinois "défendre leur patrie" laisse un goût amer.

Pour les chinois de France, il n'y a pas de problème tibétain, il y a un problème de la flamme olympique. Ces manifestations ne sont pourtant pas seulement, comme elles le prétendent, des manifestations contre "la désinformation des médias occidentaux" mais des manifestations clamant "l'unité de la Chine", "l'appartenance de du Tibet à la Chine". Au final, je me demande ce que ces gens penseront dans 30 ans (peut-être plus tôt) et que la lumière sera faite sur l'histoire de leur pays. Quelle responsabilité s'accorderont-ils dans les exactions du régime qu'ils auront défendu?

Pourtant, il faut aussi chercher la dimension la plus acceptable, la plus compréhensible de ces manifestations et du soutient qu'elle me semble obtenir chez les chinois. Une large partie de ce discours est un discours contre le mépris dont ils seraient l'objet.

J'avoues que ce mépris m'a longtemps été transparent. Il m'a fallut comparer des photos de chinois et de français rentrant de Chine pour comprendre cela. Surtout, entendre les réactions des français aux photos chinoises. Les français aiment prendre en photo les quartiers populaires. Les rues salles. Les arrières boutiques, voir les cuisines des restaurants. Les maisons en sale état. Les pauvres. En ramenant ces photos, ils ont même le sentiment de faire, à l'égard des chinois, un travail pédagogique. Les photos des chinois montrent en effet la Chine dans sa modernité. Ses grandes avenues et ses grands immeubles. Grandes places, grands supermachés, etc. Du verre, du bêton, de l'acier. Le fait même que les chinois ramènent de telles photos fait sourire les français: " vous ne voulez pas voir vos problème ". Bon, quand même. Les français ont au fond toujours sur la Chine un regard colonial, et c'est là tout le paradoxe de cette histoire. Les français aiment les chinois tant qu'ils sont pauvres. D'un voyage en Chine, il restera des photos que personne n'aurait l'idée de faire s'il faisait, par exemple, un voyage à Paris.

Je viens, par exemple, de trouver sur flickr un groupe "traveling in asia, people only". On y trouve: des gens aux costumes traditionnels, des pauvres, des pauvres dans des costumes traditionnels et des jolies filles habillées de façon ordinaire (bon, il doit y avoir sans doute des jolies filles habillées de façon traditionnelle, il faudrait mieux chercher). Bon, je ne suis pas super doué avec flicker, mais je n'ai pas réussi à trouver de groupe rassemblant de telles photos sur l'Europe ou la France. Par contre, on trouver quantité de photos façons "les plus beaux villages/monuments/paysages de France".

Souvent, les photos folklorisantes et quelque peu misérabilistes que les gens ramènent de Chine énervent les chinois. Mais bien des discours sur la Chine ne valent guère mieux. Il y a quelques années, un reportage de M6 avait atteint le sommet du ridicule. Les images étaient systématiquement accompagnées de commentaire idiots et méprisants. Ainsi, quand un investisseur était reçu je ne sais plus où, on lui offrit de l'eau chaude. Et on a eu droit à "Ils sont tellement pauvres qu'ils ne peuvent même pas acheter de thé pour mettre dans l'eau". Le journaliste ne s'est pas posé la question de savoir si l'eau chaude était une boisson "normale" en Chine. Quand un patron participe à une journée de jeux avec son entreprise, ces jeux sont "ridicules", et le patron s'y prête par amabilité (j'ai eu à supporter une vidéo d'une amie me présentant ses jeux lors d'une journée avec sa boîte, c'était pas non plus un grand moment d'épanouissement). Dernier en date, le merveilleux "Pékin express" où l'on doit survivre avec je ne sais plus combien par jour. Faire de la Chine (et maintenant de l'amérique du sud, je crois) un terrain d'aventure a quelque chose de profondement méprisant. C'est d'ailleurs dans l'ensemble comme cela que l'émission a été reçu des chinois.

Bien sûr, contrairement aux chinois, je ne crois pas que les occidentaux attaquent la Chine parce qu'elle est la Chine et que le Tibet, tout le monde s'en fout. Les chinois n'arrivent, pour beaucoup, tout simplement pas à comprendre la sympathie que les français peuvent avoir pour les tibetains. Ce n'est pourtant pas compliqué: un peuple opprimé, un leader qui prône la non violence, face à un gouvernement qui tient le record d'exécutions par ans et qui incarcère des opposants politiques...

samedi 19 avril 2008

Préambule

Qu'est-ce que fait le pouvoir chinois au Tibet? Le fait même qu'il bloque l'information ne peut que renforcer les soupçons. Pourtant, il est essentiel de ne pas se limiter aux soupçons. Si l'on croit que la situation au Tibet n'est pas bonne, il faut argumenter à partir de faits. Et cela même si les faits nous sont rendus difficiles d'accès par la propagande chinoise.

Tous ceux qui font reposer leur critique sur "le totalitarisme chinois" ou " les 50 ans d'oppression du Tibet" portent une critique qui n'est pas mieux fondée que le discours des chinois (dans ce blog, le mot chinois sera utilisé pour parler de la population chinoise, non de son corps politique) selon lequel le parti communiste chinois travaille au développement du Tibet. Même si nous manquons d'informations, et même si cela est le résultat de l'action du gouvernement, nous devons tenter de parler à partir de ce que nous pouvons savoir.

Si je raisonne de cette façon, c'est parce que je crois que les mouvements de réforme ne peuvent venir que de l'intérieur de la Chine, de sa population. Comme je l'ai dit dans le post précédent, je ne crois pas qu'un régime fusse-t-il autoritaire, puisse tenir sans le soutien de sa population. Si aucun manifestant occidental n'a, à mon avis, capacité à peser sur le gouvernement chinois, il ne reste alors qu'à tenter de défendre, auprès des chinois, une discussion qui s'avère plus difficile qu'il ne peut sembler.

Tout en étant convaincu qu'on ne peut porter envers le gouvernement chinois qu'une critique sévère, il faut reconnaître que les argumentaires que nous avons entendu, sur la question du Tibet ou plus largement de la société chinoise, sont souvent caricaturaux, grossiers et hautains. C'est assez désolant car ce type d'argumentation n'aboutit qu'à discréditer une position fondamentalement juste. La mauvaise critique n'aboutit qu'à raidir la population chinoise.

La vie comme elle va

Bizarre, aujourd'hui, de vivre avec une chinoise. Confronté, d'un seul coup, à des réactions que je n'accepterais pas si elles étaient le fait d'autres.

Le gouvernement chinois laisse se dérouler des manifestations en Chine contre la France (et surtout contre Carrefour, ce qui a un côté cocasse: en Chine aussi, la question des droits ne semblent plus pouvoir être traduite que dans la consommation). Il semblerait qu'il aide logistiquement les jeunes chinois qui manifestent à Paris. Pourtant, il faut renoncer à croire que la réaction des chinois est le simple résultat de la propagande ou de la manipulation. L'adhésion des chinois que je connais à l'esprit de ces manifestations démontre le contraire. Souvent, les français, dans leur bonne naïveté, s'imaginent faire plaisir aux chinois en expliquant qu'ils soutiennent "le peuple chinois" contre le gouvernement, contre le parti. D'abord, et cela ferait froid dans le dos aux occidentaux, il n'est pas exceptionnel d'entendre des chinois déplorer la "faiblesse" du gouvernement chinois. Et pour ce qui est de lâcher le Tibet, il n'y a sans doute pas grande différence entre le peuple et le parti.

Les européens s'imaginent toujours les dictatures comme fonctionnant par le sang et la répression violente. Sans vouloir nier cette dimension, il faut reconnaître inimaginable un régime qui puisse durablement tenir sans répondre à certaines demandes de sa population, ou de certaines parties du moins de sa population. Ainsi, dans le "contrat" qui lie le PC aux chinois, il y a probablement deux choses: le développement, la grandeur de la Chine et d'abord, son unité.

Je pars dans ce blog avec l'idée de me clarifier la tête sur ces questions. Je ne suis spécialiste ni de la Chine ni du Tibet. Je me dis qu'ici pourraient se nouer des discussions intéressantes sur ce sujet, mais là n'est pas l'essentiel. Ecrire oblige à clarifier ses pensées, et écrire "en public" y oblige plus encore. C'est mon objectif. Je ne publierai donc pas tous les messages que je recevrai, juste ceux qui me sembleront me permettre d'avancer.